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Au coeur de Fragments
11 septembre 2006

Chapitre III : (3)

L’air est immobile, silencieux. Je suis dans le couloir, fixant l’obscurité qui s’étend devant moi. Plus un signe de la tempête, pas le moindre murmure dans le bâtiment. Je glisse doucement dans les ténèbres, long tunnel qui s’arrête brutalement sur la dernière porte. L’extérieur est envahi par une brume sombre et mouvante. Comme si la tempête s’était figée sur place, abandonnant sa poussière dans le ciel nocturne. J’observe les remous qui agitent ce mur opaque, leurs formes changeantes et malsaines. Peu à peu des silhouettes se dessinent dans ce chaos. Je reste dans l’encadrure de la porte, je les regarde surgir des nuages et approcher de moi. Ce ne sont pas des hommes, ces ombres sont tout sauf humaines. Je les vois me dévisager de leurs orbites vides,  tendre des bras de poussière dans ma direction. Je veux hurler mais aucun cri ne monte de ma gorge. Je suis prisonnier de la porte, prisonnier face à ces fantômes de sable.

 

J’ouvre brusquement les yeux. Le matelas trop rude m’a engourdi les membres, ce qui me force à rester allongé quelques instants. Un mauvais rêve… je n’aurais pas du rester à fort Venox. Le sommeil est venu avant que je ne songe sérieusement à ma situation. Et pourquoi ce rêve-là précisément ? Cet endroit me semble vraiment désert, sans la moindre parcelle de présence. Je n’ai pas cherché de sang, de traces d’un drame ou que sais-je. Non, ça crève les yeux qu’ils sont partis, ils ne demandaient que ça. Les visages sans traits des silhouettes s’évanouissent peu à peu. Il n’y a pas de fenêtres dans le dortoir, je décide de me rendre dehors. Je découvre un ciel calme et terne, bien éloigné de ma vision. Non loin, je devine les formes brillantes de mon explorateur. Je continue la mission.

Il est peu probable qu’ils aient vidé le dépôt de carburant. J’ai de la réserve devant moi, mais en repartant je sais qu’il s’agit d’un aller sans retour… En traversant le fort je réalise que les lieux ont toujours eu l’air abandonnés. Comme si tous ceux qui y résidaient ne s’étaient jamais totalement installés. La seule véritable marque de présence venait des graffitis des chambres. Des mots lancés à l’envie, sans véritable signification. Devant moi se dresse la cœur de cet avant poste, sa raison d’être. La fosse à carburant ne dépasse guère du sol. La porte d’accès n’est pas verrouillée, je pénètre dans la petite salle de contrôle. Bonne nouvelle, la cuve n’est pas vide. Je pars ouvrir la trappe sur le côté du dépôt quand je remarque une inscription sur le béton sombre. « Fuite en avant », le mot fuite étant souligné à deux reprises. Sur le sol se trouve la pierre qui a servi à tracer les lettres. Le tout me semble récent. Si ce message m’est bien adressé, il me conforte dans ma décision : je ne peux aller que de l’avant, et vite. Je m’attelle aussitôt à transférer le carburant nécessaire à un long voyage.

Je vais prendre la voie Majeure. J’ai peut-être bien considéré mes adversaires avec trop de subtilité. La disparition soudaine de tout le personnel stationné dans Venturion et plus encore ce message, « fuite en avant », tout ça me donne le sentiment que j’ai bien plus à craindre que ces supposés ravisseurs. Ils ont du prendre le chemin le plus direct. Une fissure aux allures de grand cyclone. J’ai inspecté l’explorateur, sa peinture élastique a presque effacé les traces de mon atterrissage involontaire. J’espère n’avoir raté aucun problème plus grave. Je n’ai plus la confiance aveugle que je pouvais porter à mon appareil, depuis l’accident. Ces années d’inactivité n’ont pas totalement effacé cette fracture, cette méfiance en filigrane. Cet espace infime me séparera toujours d’un vrai pilote si je n’y remédie pas. Ce qui ne m’empêche pas de faire porter tous mes espoirs sur cette machine encore si peu apprivoisée. Le temps de prendre une légère collation et je suis paré à partir. Ce sera mon second adieu aux sables grisâtres de Venturion.

Est-ce une raison pour y abandonner aussi mes interrogations ? Ces gens, Nadia, Dan Bertel et les autres m’ont sans doute dissimulé la vérité. Mensonge réel ou par omission impossible de le dire. Me voilà en terre lointaine et sans aucune certitude. Tout cela n’est pas qu’un horrible test, une manipulation cynique, les larmes de Joe en attestent. C’est de la pure folie que de s’appuyer sur un tel détail. Mais pourquoi pas, puisque depuis le départ cette histoire n’est que folie, je n’ai plus qu’à me laisser porter par elle, sans arrière-pensées ni regrets. Ils ne font que paver les voies sans issues.

Cette fois je connais mieux la configuration du mur. Mon explorateur s’arrache brutalement à la piste et file vers son objectif. Je suis fermement cramponné aux commandes. Le rugissement des turbines s’évanouit à l’instant où je me laisse happer par la fissure. J’encaisse le choc, bien décidé à ne plus me laisser surprendre. La voie majeure n’est pas moins violente que sa petite sœur. Je commence à trouver le chemin bien long quand celui-ci me libère aussi soudainement qu’il m’a englouti. J’heure de plein fouet des nuages cotonneux. Je fais hurler mes freins sans trop savoir vers où je me diriger. L’altimètre est parvenu à détecter le sol, ses chiffres défilent à grande allure, bien trop vite à mon goût. Je pousse à fond les turbines pour arrêter ma chute. La coque gémit de ce traitement mais je n’en ai cure. Le sol m’apparaît soudain, presque aussi blanc que le ciel.  J’ai du mal à évaluer les distances, je décide de viser une surface à peu près dégagée. Au moment de toucher le sol, celui-ci se soulève en une vague éclatante. Elle tourbillonne autour de moi avant de s’éloigner et se dissoudre en une myriade de flocons. L’explorateur s’immobilise dans un bruit sourd. Je coupe les moteurs. Je n’entends plus que le sifflement aigu du vent. Et déjà commence à obscurcir les optiques. Tout autour, à perte de vue, la blancheur de la neige.

A l’exception de formes sombres et acérées dans le lointain.

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