Chapitre IV (2)
Louis
Iranegra sentait la main fraîche qui tenait la sienne. La fin du rêve n’avait
pas d’importance, car elle changeait au gré de son humeur, du climat, de la
compagnie. Adarshini le veillait toujours, avec une patience sans cesse
renouvelée. La jeune femme à la peau mate se fondait dans l’ombre de la
chambre. Il admirait sa longue chevelure soyeuse, son visage si rassurant. Son
regard s’attarda sur la naissance de ses seins. C’était un rituel plaisant et un
rien honteux qu’il s’accordait au réveil. Il ne savait pas réellement si elle
s’en rendait compte ou si elle n’y voyait rien à redire. Depuis son arrivée,
elle tenait à être là pour son réveil, attendant que se dissipent ses peurs et
ses souvenirs épars. S’il avait trouvé cette présence réconfortante et
agréable, un doute amer le tenaillait depuis quelques jours.
Il se
sentait un peu triste à la voir le cajoler ainsi quand il se sentait mal. D’imaginer
ces yeux l’observant avec pitié. D’être aimé comme on aime une bête malade et
souffrante. Cette sensation ruinait le plaisir qu’il avait prenait à la
retrouver tous les matins. En vérité, cela ne lui convenait pas, malgré le
confort apparent de la situation. Même en y songeant, il ne parvenait toujours
pas à trouver une manière élégante de se sortir de ce piège. Toute réaction lui
semblait stupidement blessante.
« Je
vais faire un tour dans la palmeraie, Adarshini. »
—N’oublie
pas de revenir à temps pour le déjeuner.
Elle lui
lâcha la main presque à contrecoeur et quitta les lieux à petits pas. Louis
admira une dernière fois sa silhouette et ferma les yeux. La pièce devenait
plus commune, moins vivante quand elle la quittait. Réellement. Il se leva et
s’habilla en vitesse, avant de s’asseoir sur le lit. Il passait de longues
heures à dormir, assommé par la chaleur qui invitait à la nonchalance. La porte
en feutre laissait déjà filtrer la vive lueur du jour. Il avait juste le temps
d’une courte ballade, avant que la température ne devienne trop incommodante. Le
sable encore tiède crissa sous ses pas tandis qu’il se dirigeait vers l’ombre
accueillante des palmiers.
Il se
retrouva vite à l’endroit habituel. Quelque part il sentait que ce n’était pas
positif de ressasser les mêmes choses. De tourner en rond. Si on lui demandait
il n’aurait qu’à dire que ses pas l’avaient menés ici, sans autre forme
d’explication. Et s’il faisait un effort il finirait peut-être tout aussi bien
par s’en persuader lui-même. Dans certaines zones, se recueillir auprès des
morts constituait un rituel important. Mais que dire d’un homme venant sans
cesse observer le cadavre d’une machine ? On l’avait dissimulée sous des
branches et des feuilles sèches, et il ne restait de l’explorateur qu’un
curieux monticule végétal. Louis s’agenouilla près du sable et ne pu s’empêcher
de regarder les orifices qui transperçait l’arrière de l’engin. L’odeur âcre
mais envoûtante du carburant disparaissait doucement au fil des jours. A
présent il ne la sentait plus qu’en creusant le sol. La première fois qu’il avait
réellement repris conscience depuis son arrivée il était parti à la recherche
de toutes sortes de solutions désespérées. Jusqu’à imaginer de récupérer le
précieux liquide qui avait imbibé le sable. En vain bien entendu. A présent il
ne faisait plus que se recueillir, prendre le temps de réfléchir.
« Difficile
à te voir de comprendre si tu souhaites partir ou tu te réjouis de
rester » Sapan le fixait sans s’approcher. Il portait cet accoutrement qui
paraissait si étrange à louis, destiné à voyager à l’abri du vent, de la
chaleur et de la poussière. « J’ai peur que tu ne causes de la peine à ma
sœur, Louis. Elle pensait pouvoir guérir rapidement tes blessures, mais à dire
vrai tu souffres d’autre chose contre laquelle elle se sent impuissante. »
—Je ne
devrais pas revenir à cet endroit, répondit-il d’un ton las. Mais j’ai peur de
faire un mauvais rêve, de vouloir rester par découragement. Je dois venir ici
pour bien réaliser, m’assurer de ce qui m’est arrivé.
—Peur
d’avoir envie de rester ? Je ne te comprends pas. Mais il est encore tôt
pour que nous comprenions. » Sapan s’était rapproché, et observait l’engin
à ses côtés. Il s’empara d’une grande feuille tombée à terre et la replaça sur
les autres.
« Nous
l’avons bien caché, comme tu nous l’avais dit. Mais maintenant, tu ferais
peut-être bien de l’oublier, toi aussi. Sinon tu deviendras aveugle à ce qui
t’entoure. »
« J’aurais
bientôt des nouvelles pour toi. J’espère qu’elles te feront changer
d’attitude. » Sapan venait de lui parler d’un ton bien plus grave. Il lui
décocha un sourire complice pour le laisser à nouveau à sa solitude.