après ce passage, il ne restera probablement plus qu'un message d'ici la fin du chapitre 3
Je creuse frénétiquement à l’aveugle dans le tapis de neige.
Ma main finit par rencontrer le vide, enfin. J’agrandis le trou et retrouve la
sensation de l’air libre dans ma gorge. Je suis encore à moitié enseveli quand
je peux nettoyer mes lunettes des flocons qui les obstruent, la lumière atténue
enfin ma panique. Lorsque je me remets debout c’est pour découvrir un paysage
dévasté, balayé par une avalanche : du mur qui me faisait face ne reste
qu’une grande coulée blanche emplissant les lieux de l’affrontement. Des blocs
de pierre noirâtres surgissent ça et là et je me rends compte que le pilier qui
soutenait cette falaise de glace s’est effondré lui aussi. Je suis un miraculé.
Je secoue les restes neigeux qui s’accrochent à ma
combinaison et mes cheveux. Le silence est impressionnant après tant de fureur.
J’ai encore un peu de peine à réaliser mais je suis bien le seul à me dresser
entre ces colonnes. La poursuite a pris fin de la plus violente des manières. En
quelques pas maladroits je retourne dans la grande travée qui parcourt la
construction. Toujours rien à l’horizon, aucun guetteur ne semble m’avoir
attendu. Je n’ai pas vu de traces dans les restes de l’avalanche. Mes
poursuivants doivent être morts. Comme j’aurai pu l’être… mourir ici, finir
oublié à jamais. Une joie sauvage me réchauffe, le plaisir simple et brutal de
les avoir piétinés. Il ne me reste plus qu’à rejoindre mon explorateur, il me
faudra juste presser le pas car la tempête s’affaiblit.
C’est alors que je la remarque. C’est une main gantée de
bleu, seule dans la neige, une simple main. L’ai-je bien aperçue ? C’est
peut être un autre bout de tissu, non je fais semblant de n’avoir pas compris. Je
n’arrive pas à tourner le dos et partir, en simple vainqueur sûr de son fait. En
m’approchant, je peux la toucher, j’exerce une légère traction, presque à
contrecœur. Rien ne vient. Je n’ai plus le choix. Je dégage la neige de mes
mains, libérant peut à peu un avant-bras, puis une épaule. Mon rythme
s’accélère, je suis toujours un fugitif c’est stupide mais j’ai choisi. Le
corps vient lentement quand je le tire, son enveloppe de neige compacte cède
sous mes assauts. Et nous nous retrouvons tous deux allongés au sol. Aucune
réaction. Je lui arrache sa capuche afin de découvrir ses traits. Sous mes
doigts, des vagues de cheveux roux s’échappent et glissent hors de leur prison.
C’est une femme.
Son visage est beau, malgré son teint pâle et ses lèvres
violacées. Elle semble seulement endormie. D’une main hésitante, je dégage sa
peau des derniers cristaux, puis suspends mes gestes. Je dénude ma main et
l’appose contre sa joue, elle est glaciale. Je décide malgré tout de la
déplacer dans un endroit plus pratique. C’est au moment où je saisis ses jambes
que j’entends un faible gémissement. Quelques larmes se frayent un passage sous
ses yeux entrouverts. Je lâche le membre et lui arrache un second cri. Son
visage frissonne sous mes mains, je souffle un peu afin de le réchauffer. C’est
ainsi que son regard me surprend, tenant son visage entre mes mains. Il passe
par une multitude de nuances au fil de son réveil. Je sens une terrible peur et
soudain, une défiance subite. Elle a compris qui j’étais.
« C’est vous qui… »
—C’est moi. Il n’y a plus que nous deux. » Ses yeux
s’éteignent quelques instants.
—Merci. » Sa réponse est parti comme dans un souffle.
« Vous n’auriez pas du venir. »
—Vous savez pourquoi je suis venu.
—Pour la fille… Elle n’est plus ici. Laissez-moi,
maintenant.
—Attendez. »
Je la sens tendue, pourtant ma voix n’était pas menaçante. Je
m’approche d’elle et je la vois serrer ses lèvres encore bleutées, comme figée
par la peur. Tout devient clair quand je constate que j’ai la main posée sur sa
jambe blessée. Une simple pression et je me transforme en tortionnaire… Mais ce
n’était pas mon intention. Un silence pesant s’installe. J’écarte lentement ma
main sans quitter son regard.
« J’ai besoin d’en savoir plus, Sylvie. »
Touchée ! Je devine à sa réaction que je n’ai pas fait fausse route. Elle
détourne les yeux, le visage fermé. Je soupire. Je la laisse le temps d’aller
voir l’endroit où elle se trouvait ensevelie. Là au fond du trou, je récupère
ce que j’attendais, un pistolet mitrailleur. Puis je reviens vers elle et
détache sa cartouchière avant d’en prendre le contenu. Sylvie se laisse faire
sans mot dire et ne tente plus de me dévisager. Etrange, je m’imaginais ce
genre de bandit bien plus capable de tenter un mauvais coup dans sa position.
Drôle de fille, vraiment. Avant de partir, je lui tends mon pistolet d’alarme. Comme elle ne le prend pas, je lui pose sur la
poitrine en ajoutant « Utilisez-le au moment qui vous semblera
raisonnable. »
Elle m’arrête au moment où je tourne le dos. A sa voix je
sens qu’elle a changé d’opinion. « Hey. Vous êtes un homme bien. Renoncez,
je vous en prie. » Je m’éloigne sans répondre. Elle reprend plus fort,
criant presque à cause de la distance. « Renoncez ! Vous serez tout
seul, n’essayez pas d’en apprendre plus ! Vous méritez mieux ! »
Je ne peux pas. Je la salue de la main avant d’accélérer le
pas. Quand une jolie fille vous dit de renoncer, et qu’il s’agit visiblement de
la solution la plus sûre il faut être un peu fou pour ne pas le faire. Mais cet
incident m’a fait franchir un seuil. Plus question de faire machine arrière. Il
me reste encore un bon bout de chemin avant mon vaisseau. Je dégaine mon
récepteur et m’enfonce dans la grande pleine enneigée qui s’étend devant moi,
les yeux rivés sur le petit cadran. Le ciel s’éclaircit de minute en minute. Je
dois faire vite.
Je suis presque arrivé à bon port quand je vois une lueur
rouge illuminer l’horizon derrière moi. Très raisonnable, Sylvie.