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Au coeur de Fragments
9 octobre 2006

Chapitre III (11)

après ce passage, il ne restera probablement plus qu'un message d'ici la fin du chapitre 3



Je creuse frénétiquement à l’aveugle dans le tapis de neige. Ma main finit par rencontrer le vide, enfin. J’agrandis le trou et retrouve la sensation de l’air libre dans ma gorge. Je suis encore à moitié enseveli quand je peux nettoyer mes lunettes des flocons qui les obstruent, la lumière atténue enfin ma panique. Lorsque je me remets debout c’est pour découvrir un paysage dévasté, balayé par une avalanche : du mur qui me faisait face ne reste qu’une grande coulée blanche emplissant les lieux de l’affrontement. Des blocs de pierre noirâtres surgissent ça et là et je me rends compte que le pilier qui soutenait cette falaise de glace s’est effondré lui aussi. Je suis un miraculé.

 

 

Je secoue les restes neigeux qui s’accrochent à ma combinaison et mes cheveux. Le silence est impressionnant après tant de fureur. J’ai encore un peu de peine à réaliser mais je suis bien le seul à me dresser entre ces colonnes. La poursuite a pris fin de la plus violente des manières. En quelques pas maladroits je retourne dans la grande travée qui parcourt la construction. Toujours rien à l’horizon, aucun guetteur ne semble m’avoir attendu. Je n’ai pas vu de traces dans les restes de l’avalanche. Mes poursuivants doivent être morts. Comme j’aurai pu l’être… mourir ici, finir oublié à jamais. Une joie sauvage me réchauffe, le plaisir simple et brutal de les avoir piétinés. Il ne me reste plus qu’à rejoindre mon explorateur, il me faudra juste presser le pas car la tempête s’affaiblit.

 

 

C’est alors que je la remarque. C’est une main gantée de bleu, seule dans la neige, une simple main. L’ai-je bien aperçue ? C’est peut être un autre bout de tissu, non je fais semblant de n’avoir pas compris. Je n’arrive pas à tourner le dos et partir, en simple vainqueur sûr de son fait. En m’approchant, je peux la toucher, j’exerce une légère traction, presque à contrecœur. Rien ne vient. Je n’ai plus le choix. Je dégage la neige de mes mains, libérant peut à peu un avant-bras, puis une épaule. Mon rythme s’accélère, je suis toujours un fugitif c’est stupide mais j’ai choisi. Le corps vient lentement quand je le tire, son enveloppe de neige compacte cède sous mes assauts. Et nous nous retrouvons tous deux allongés au sol. Aucune réaction. Je lui arrache sa capuche afin de découvrir ses traits. Sous mes doigts, des vagues de cheveux roux s’échappent et glissent hors de leur prison. C’est une femme.

 

 

Son visage est beau, malgré son teint pâle et ses lèvres violacées. Elle semble seulement endormie. D’une main hésitante, je dégage sa peau des derniers cristaux, puis suspends mes gestes. Je dénude ma main et l’appose contre sa joue, elle est glaciale. Je décide malgré tout de la déplacer dans un endroit plus pratique. C’est au moment où je saisis ses jambes que j’entends un faible gémissement. Quelques larmes se frayent un passage sous ses yeux entrouverts. Je lâche le membre et lui arrache un second cri. Son visage frissonne sous mes mains, je souffle un peu afin de le réchauffer. C’est ainsi que son regard me surprend, tenant son visage entre mes mains. Il passe par une multitude de nuances au fil de son réveil. Je sens une terrible peur et soudain, une défiance subite. Elle a compris qui j’étais.

 

 

« C’est vous qui… »

 

—C’est moi. Il n’y a plus que nous deux. » Ses yeux s’éteignent quelques instants.

 

—Merci. » Sa réponse est parti comme dans un souffle. « Vous n’auriez pas du venir. »

 

—Vous savez pourquoi je suis venu.

 

—Pour la fille… Elle n’est plus ici. Laissez-moi, maintenant.

 

—Attendez. »

 

 

Je la sens tendue, pourtant ma voix n’était pas menaçante. Je m’approche d’elle et je la vois serrer ses lèvres encore bleutées, comme figée par la peur. Tout devient clair quand je constate que j’ai la main posée sur sa jambe blessée. Une simple pression et je me transforme en tortionnaire… Mais ce n’était pas mon intention. Un silence pesant s’installe. J’écarte lentement ma main sans quitter son regard.

 

 

« J’ai besoin d’en savoir plus, Sylvie. » Touchée ! Je devine à sa réaction que je n’ai pas fait fausse route. Elle détourne les yeux, le visage fermé. Je soupire. Je la laisse le temps d’aller voir l’endroit où elle se trouvait ensevelie. Là au fond du trou, je récupère ce que j’attendais, un pistolet mitrailleur. Puis je reviens vers elle et détache sa cartouchière avant d’en prendre le contenu. Sylvie se laisse faire sans mot dire et ne tente plus de me dévisager. Etrange, je m’imaginais ce genre de bandit bien plus capable de tenter un mauvais coup dans sa position. Drôle de fille, vraiment. Avant de partir, je lui tends mon pistolet d’alarme.  Comme elle ne le prend pas, je lui pose sur la poitrine en ajoutant « Utilisez-le au moment qui vous semblera raisonnable. »

 

 

 

Elle m’arrête au moment où je tourne le dos. A sa voix je sens qu’elle a changé d’opinion. « Hey. Vous êtes un homme bien. Renoncez, je vous en prie. » Je m’éloigne sans répondre. Elle reprend plus fort, criant presque à cause de la distance. « Renoncez ! Vous serez tout seul, n’essayez pas d’en apprendre plus ! Vous méritez mieux ! »

 

 

Je ne peux pas. Je la salue de la main avant d’accélérer le pas. Quand une jolie fille vous dit de renoncer, et qu’il s’agit visiblement de la solution la plus sûre il faut être un peu fou pour ne pas le faire. Mais cet incident m’a fait franchir un seuil. Plus question de faire machine arrière. Il me reste encore un bon bout de chemin avant mon vaisseau. Je dégaine mon récepteur et m’enfonce dans la grande pleine enneigée qui s’étend devant moi, les yeux rivés sur le petit cadran. Le ciel s’éclaircit de minute en minute. Je dois faire vite.

 

 

Je suis presque arrivé à bon port quand je vois une lueur rouge illuminer l’horizon derrière moi. Très raisonnable, Sylvie.

 

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